"Le sucre, la nouvelle transgression ?"

"Pâtisserie en édition limitée, café gourmands à savourer sans culpabilité... Longtemps associé à la regression, le sucré prend en 2012 une autre dimension : celle d'une rébellion.

Bien sûr, il y a le contexte inquiétant d'une crise dont, à défaut de saisir les tenants, nous ressentons les aboutissants, qui nous poussent à la recherche du confort dans les sucreries, chocolat en tête car son goût puissant nous apaise immédiatement.Le sucre possède cette incroyable valeur afective qui le classe à part. Parce que nous avons été sages, parce que nous avons bien travaillé - le "bonbon-récompense" et, a contrario, le "privé de dessert-punition" -, il nous relie pour toujours à l'enfance. Marry Poppins ne chantait-elle pas déjà "la vie est moins amère avec un petit morceau de sucre"? Mais si la crise ajoute une couche aux millefeuilles de nos ambivalences, elle n'explique pas tout. La déferlante sucrée qui s'immisce actuellement dans nos vies se nourrit de mécanismes autrement plus complexes.

             

Petits arrangements avec la morale

"La morale a toujours posé un regard réprobateur sur le sucre et celui qui le mange, rapelle le sociologue Claude Fischler. Cela tient à es frontières communes avec la sexuakité, ce lien au plaisir, qu'il soit aumé ou interdit, culpabilisant ou jouisif. Mais tandis que le plaisisr sexuel a été légitimé, jusqu'à devenir une composante de l'épanouissement personnel, l'attirance pour le sucre a été de plus en plus mal jugée. Il a remplacé le sexe en matière de culpabilité, surtout si la petite douceur est vécu en solitaire. Certaines attaques contre lui rappellent la façon dont on parlait de masturbationau siècle dernier."

Pour peu que nou nous affranchissions du regard désaprobateur posé sur nos mcarons - n'oublions pas que Hansel et Gretel furent punis d'avoir cédés à la gourmandise -, voici que le jugement médical tombe tel un couperet. Chaque jour on nous rappelle, études à l'appui, combien le sucre est mauvais pour la ligne et dangereux pour la santé. Dernière en date : celle rapportée en novembre dernier par le site d'informations Huffington Post, selon laquelle il rendrait les consommateurs aussi dépendants que la cacaïne ou la nicotine. Or, ce qui est dangereux devient désirable. Réultat, plus le sucre est diabolisé, plus le besoin de consommer ou de compenser devient aigu. Et notre société, qui a fait du "tout, tout de suite" son mot d'ordre, nous encourage à assouvir notre dessis. Alors nous consommons et compensons, comme un acte de rébellion nécessaire et assumé.

Les pâtisserie, lieux de plaisirs ultra tendance

Pour se faire pardonner et rester désirable, le sucre a recours à de nouveaux artifices. La rareté, l'exclusivité, la sophistication lui redonnent de la valeur ainsi qu'à celui qui le mange. D'ailleurs, les stylistes de mode ne ratent pas une occasion de nous livrer leur création pâtissière : Karl Lagerfeld, Christian Lacroix pour Lenôtre, Alexis Mabille chez

 Christian Lacroix     Karl Lagerfeld

Angélina. Désormais, on n'achète plus un gâteau, on se nourrit d'un concept, ce qui est moralement plus acceptable. Plus la pâtisserie e rapproche d'une oeuvre d'art et plus elle nous éloigne de notre corporalité - oubliés la trivialité des calories, le risque de diabète. Dorénavant, on peut pêcher par gourmandise... artistique !

Le sucre est dangereux? Qu'importe ! Avec la folies des cupcakes et des choux à la crème, trop petits pour être vraiment mauvais, il devient extraordianire pour nous séduire sans mal et sans reproche. [...] La gourmandise a de nouveaux magiciens : Pierre Hermé, Sébastien Gaudard ou Philippe Conticini ont devenus les créateurs d'un monde enchanté dont nous sommes les héros assumés. Souvenez-vous de la publicité Miss Dio chérie, asurément le spot le plus réjouisant de ces dernières années. On y voit une jeune femme entrer dans une pâtisserie féérique et, pour la première fois dans l'univers du luxe, croquer à pleine bouche dans une tartelette à la framboise... [...]

"Le sucre devient très élaboré, élitiste, et emprunte ses codes au luxe", remarque Vincent Grégoire, du bureau de style Nelly Rodi. Il est question de haute pâtisserie - comme il y a la haute couture ou la haute joaillerie - qui mêle ingrédients rares comme en parfumerie pour un résultat raffiné à l'extrême. Des vitrines telles que celles d'Hermé ou de Ladurée mettent en scène les gourmandises comme des bijoux : lumière tamisée, collection permanente, édition limitées. L'offre se renouvelle sans cesse afin de créer désir et frustration. [...] Dans son nouvel écrin de la rue de Sèvres, Hermès a installé un sallon de thé, et propose entremets et gâteaux. "On bascule dans la transgression pour adulte, dans quelque chose d'érotique", constate Vincent Grégoire, qui souligne l'analogie troublante entre les salons privés des pâtisseries et les alcôves du siècles dernier, comme autant de lieux de plaisirs.

vitrine de Noël de Pierre Hermé

Senteurs sucrées, beauté éternelle et autres addictions

A côté de ceux qui transgressent l'interdit sucré, il y a ceux qui le recherchent dans les parfums, le maquillage et les soins du visage. Là aussi, le sucre virtuel joue ses nouvelles cartes du luxe et de la transgression. Le succès de la rentrée en parfumerie? Le bien nommé Candy, de la maison Prada, association de musc blanc, de benjoin et d'une note de pur caramel, pour un résultat tonique et sensuel. Cette démarche n'est pas sans rappeller celle de Lolita Lempicka, qui a créé un choc olfactif en utiliant une note de réglisse. "L'idée était de proposesr un parfum onctueux sans être naïf, d'où le travail de la réglisse, possédant deux facettes : l'une sucrée, l'autre tirant vers l'amertume et la noirceur", explique Catherine Dauphin, à l'origine de cette fragance - simplement nommée Lolita Lempicka. A découvrir au mois de mars, le parfum La Petite Robe noire de Guerlain, dont les premières notes de cerises noires laissent sur une trace de macaron à la rose.

Désormais, les effluves sucrés semblent dire à l'autre : mange-moi. Coïncidence, les neurobiologistes ont montré que certaines odeurs agissent sur les mêmes neurotransmetteurs que ceux impliquées dans les phénomènes d'addiction. D'ailleurs, la dernière trouvaille des chercheurs réjouira les défenseurs de la cause sucrée. Il s'agit de l'identification des glycanes, sucres naturellement présents dans la peau qui assurent la communication entre les cellules. Plus nous en possédons, plus notre peau reste jeune. Résultat : la ligne de soin anti-âge Forever Youth Liberator d'Yves Saint Laurent, dont le complexe actif permet de recréer les glucanes perdus avec le temps. Du sucre pour préserver la jeunesse, voilà la découverte la plus réjouissante du moment ! "

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Article d'Isabelle Artus pour Psychologies magazine, février 2012.